FAI & TVA taux réduit : le point

Actualité publié le Lundi 20 Septembre 2010 par Maxime Garcia dans la catégorie Internet. Section Articles. Tags : FAI, Free, Orange.

 

Remue ménage au pays des abonnements à Internet : il y aurait un problème de TVA. La facture des abonnés pourrait bien augmenter. Décorticage de ce qu'il se passe et de ce qu'il pourrait bientôt arriver.

Les abonnements à Internet sont en majorité des offres dites Triple-Play fournissant Internet, téléphone et télévision. La partie qui va nous intéresser c'est la télévision, car elle bénéficie d'un régime de faveur en matière de TVA.

Commençons par examiner ce régime de faveur et les conséquences qu'il a eus.

Freebox

Petit aparté : nous allons prendre des exemples chiffrés. On considérera dans la suite que nous vivons en France Simplifiée, merveilleux pays où tout est simple. Il n'y a que Free comme fournisseur d'accès, un abonnement Triple-Play coûte 30,00 € TTC et il y a 16 millions d'abonnés particuliers. Ce n'est pas la réalité, mais ça permet de comprendre les enjeux en donnant des ordres de grandeur de ce qu'il se passe globalement.

Avant le taux réduit

Au début des offres Triple-Play, c'était vachement simple. L'abonnement était de 30 € et la prestation était taxée au taux normal de TVA, à savoir 19,6%.

Avant

Le chiffre d'affaire du fournisseur était alors de 25,08 € HT et l'état collectait 4,92 € de TVA.

Le taux réduit de TVA

En matière de TVA, il y a des cas où un taux réduit de 5,5% peut s'appliquer. C'est l'article 279 du Code Général des Impôts qui régit ces cas.

Et parmi ces cas, on peut retrouver les services de télévision. Ainsi par exemple, Canal+ bénéficie du taux réduit.

Les fournisseurs d'accès se sont dit que puisqu'ils fournissaient un service de télévision, eux aussi devrait avoir droit à ce taux réduit de TVA, au moins sur une partie de l'abonnement. Une partie correspondant à la télévision. L'autre partie, Internet et le téléphone, resterait au taux normal.

Et il en fut ainsi, ils décidèrent de l'appliquer dès fin 2006, début 2007. Chez Free, cela apparut sur la facture de novembre 2006. Et la loi fut modifiée, par la suite, pour inscrire noir sur blanc ce cas.

Ce taux réduit magique

Qu'est-ce que ça a changé ?

Pour l'abonné, rien du tout. Le prix était toujours de 30 €.

Mais pour le fournisseur, c'était autre chose. Reprenons notre exemple : factures à l'appui, on a calculé comment se repartissait la TVA et les bases hors-taxes de calcul :

Après

Le chiffre d'affaire du fournisseur est alors de 26,96 € HT et l'État collecte 3,04 € de TVA.

On constate que la partie Internet et téléphone représente 41% du chiffre HT et la télévision 59%. Donc notre fournisseur s'est dit que la télévision, c'est 59% du bousin, qu'il en soit ainsi.

Vous avez dû, vous aussi, tiquer : reprenons le chiffre d'affaire. Grâce à l'astuce du taux réduit de TVA, il est passé de 25,08 € HT à 26,96 € HT, soit une augmentation de 1,88 €. Ramené annuellement, ça fait 22,56 € de chiffre par abonné, et ramené au nombre total d'abonnés, ça fait 360 millions d'euros de chiffre d'affaire en plus.

Dit autrement, cela a camouflé une augmentation du chiffre du fournisseur de 7,5%. On constate que l'opération a été juteuse sans que l'abonné ne soit touché. Du bonus en barre. Voilà pour la magie de la chose.

Mais, l'Europe a levé un lièvre...

Tout ça c'était bien beau, mais la commission européenne a levé un lièvre.

Le lièvre...

Le tour de passe-passe s'est appliqué à l'ensemble des abonnés. Mais il y en a qui ne reçoivent pas la télévision. Par exemple, le fournisseur peut décider qu'en zone non-dégroupée, il n'y aurait pas de télévision (trop cher pour lui) ou bien tout simplement, la ligne de l'abonné ne permet pas d'accéder au service de télévision, faute d'un débit suffisant.

Partant de ce constat et pleine d'étonnement, la commission a adressé une lettre à la France pour comprendre ce qu'il se passe.

... et les chasseurs en crise

Le gouvernement s'est fait une joie de cette remarque.

Profitant de l'aversion à la bureaucratie européenne régnant en France, le gouvernement n'a fait ni une, ni deux, en clamant que l'Europe veut supprimer la taxation au taux réduit sur les abonnement Internet.

Et oui, on peut l'oublier, mais c'est la crise. Taxer l'intégralité de l'abonnement Triple-Play au taux normal de 19,6%, ça rapporterait des sous à l'État, de manière justifiée : c'est l'Europe qui veut cela.

Même si le gouvernement a légèrement fait machine arrière sur la supposée obligation donnée par l'Europe, les choses sont parties comme cela.

Théoriquement

Voyons ce qu'il résulterait d'un simple passage du taux réduit au taux normal, les fournisseurs d'accès gardant la même base hors-taxe :

Augmentation théorique

Le chiffre d'affaire du fournisseur serait toujours de 26,96 € mais l'état collecterait 5,29 € de TVA au lieu de 3,04 €, soit une recette fiscale annuelle de 432 millions d'euros supplémentaires.

Et l'abonné paierait alors 32,25 €.

Ça c'est la théorie. Voyons les possibilités.

Les fournisseurs d'accès avaient rapidement réagi, mais ils commencent seulement à s'exprimer sur le sujet délicat de qui va payer quoi.

Voyons ce qui pourrait arriver.

On fait rien

La première possibilité est que les FAI absorbent l'augmentation de taux, sans la répercuter sur l'abonné.

Cela voudrait dire qu'ils retomberaient au chiffre d'affaire par abonné qu'ils avaient avant la TVA réduite, ce qui impliquerait un bon coup de ciseaux dans leur chiffre d'affaire et donc dans leur marge. On a du mal à l'imaginer.

On remarque que si le gouvernement fait marche arrière, on reste dans le cas du bonus en barre du taux réduit pour les FAI, et cela n'induit aucun gain pour l'État.

On scinde l'offre

La seconde possibilité, si le gouvernement le permet, serait de scinder l'offre en deux : d'un côté Internet et téléphonie au taux normal de TVA et de l'autre la télévision au taux réduit. Les abonnés auraient ainsi le choix.

Sauf que, depuis que la télévision par ADSL est arrivée, avec son offre pléthorique de chaînes, il y a eu un petit changement en France : la TNT. La Télévision Numérique Terrestre a débarqué sur les ondes et amènent dans les foyers les chaînes majeures autrefois proposées uniquement via ADSL.

On imagine bien qu'une bonne partie des français inondés par la TNT s'en contenterait (si ce n'est pas déjà le cas) et s'ils avaient le choix, ne prendrait pas l'option télévision de leur fournisseur.

Cela impliquerait une baisse conséquente du chiffre d'affaire des fournisseurs. Et ce serait sans doute aucun inadmissible pour eux. On remarquera que, logiquement, ça impliquerait aussi une baisse de recette de TVA pour l'État.

On peut penser que cette solution ne pointera jamais le bout de son nez.

On augmente les prix

La troisième possibilité serait d'augmenter le prix payé par l'abonné. On a vu ce que ça donnait pour une augmentation mécanique du taux de TVA.

Voyons ce que ça donne si les fournisseurs en profitent.

Orange a annoncé qu'ils répercuteraient la chose. Chez Free aussi et la société a même chiffré la hausse à 3€. Voyons ça dans notre France Simplifiée avec Free comme seul fournisseur :

Augmentation voulue par Free

L'abonné paierait alors 33,00 €. Le chiffre d'affaire du fournisseur serait de 27,59 € HT et l'État collecterait 5,41 € de TVA.

Cela représente un gain de chiffre d'affaire annuel par abonné de 7,56 € et au total un gain de 120 millions d'euros. Soit une augmentation de chiffre d'affaire de 2,3% pour le fournisseur.

L'État collecterait annuellement 455 millions d'euros de taxe supplémentaire.

Pour Free, cette hausse de 3€ pourrait apparaître sous forme d'une taxe « Baroin - Sarkozy » mentionnée sur la facture, histoire de faire porter le chapeau au gouvernement.

Et donc ?

Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État de l'économie numérique, s'est exprimé sur le sujet le 16 septembre sur l'antenne d'Europe 1.

"Si les opérateurs veulent augmenter leurs tarifs, c'est leur liberté commerciale" énonce-t-elle, "mais ils ne vont pas mettre ça sur le dos du gouvernement". Tout en précisant que "si on répercute strictement la fin de la TVA réduite, c'est moins de deux euros par Triple-Play".

Nathalie Kosciusko-Morizet sur Europe 1

Et de taper où ça fait mal : "quand on a baissé la TVA en 2007, les forfaits étaient à 29,99 euros avant et sont restés à 29,99 euros après" insiste-elle, voulant pointer le gain bonus des fournisseurs qu'on a pu constater précédemment.

La secrétaire d'État oppose alors l'augmentation des prix à la solution du découplage des offres : "moi ce que je dis aux opérateurs, c'est qu'il y a des moyens pour que cela coûte encore moins cher ; il suffit de découpler la partie télévision de la partie Internet et téléphonie". Une manière de dédouaner le gouvernement en mettant en avant une autre manière de faire que les fournisseurs ne semblent pas près d'adopter.

Une petite guerre des mots commence entre les fournisseurs et le gouvernement.

Cela nous mène à penser que la possibilité de l'augmentation de prix (de plus que de raison) semble être plus que probable. Une solution bonne pour les fournisseurs et pour l'État. Bref, bonne pour tous... sauf pour les abonnés.

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